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Le carnet tactique d'Inter-Real

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Début juillet, alors que l’Italie s’apprêtait à voir Roberto Mancini et ses bandits soulever l’Europe à Londres, Simone Inzaghi s’était avancé dans une salle de presse de Milan et avait pour la première fois regardé dans les yeux son nouveau défi. Pas n’importe lequel. Un défi majeur, brûlant : la reprise de la barre d’une Inter championne d’Italie avec un Antonio Conte lassé par la situation économique du club milanais et les étincelles constantes avec ses dirigeants. C’est alors en anti-Conte qu’Inzaghi s’était pointé, jouant la carte des câlins aux tifosi et révélant une promesse de ses patrons : celle de conserver un navire « compétitif et fort » , capable de résister aux vagues malgré les départs de plusieurs boulons essentiels (Lukaku, Young, Hakimi). « Oui, c’est un moment délicat pour tout le monde, avait alors soufflé le nouveau capitaine. Dans mon approche, les ailiers sont en plus très importants et nous allons devoir remplacer Ashley Young et Hakimi. On va le faire et, s’il y a beaucoup d’équipes bien armées cette saison, nous ferons tout pour défendre notre titre. Je veux une équipe qui joue, qui est toujours dans le match… Par le passé, mes équipes ont toujours bien joué et marqué beaucoup de buts. J’espère aussi divertir les fans ici, à Milan. » Ses trois premières sorties en championnat étaient plutôt rassurantes malgré un nul bancal face à la Sampdoria (2-2) dimanche et quelques ajustements au système déployé sous Conte liés au choix de certains profils, la tour Džeko n’offrant notamment pas les mêmes atouts que le fou Lukaku. Mais ce mercredi soir, Simone Inzaghi et son nouvel équipage passaient un test majeur au San Siro face au Real d’Ancelotti, autre bateau en reconstruction. Bilan de la croisière : si cette Inter n’a pas attrapé les points, elle a au moins attrapé les cœurs.

Le spécifique sortie de balle de l’Inter

Durant 60 grosses minutes, le Real a alors été poussé au bord de la rupture, subissant au total 16 tirs (dont 5 cadrés) et confirmant les failles vues ce week-end lors d’une démolition du Celta (5-2) qui ne disait pas tout des trous défensifs madrilènes. Après la rencontre, Carlo Ancelotti avait d’ailleurs assumé la chose : « Notre organisation défensive n’a pas été claire aujourd’hui. Nous devons absolument régler ça, car nous avons fait des erreurs et il faut voir plus de solidarité sans ballon, défendre ensemble… » Et non présenter un bloc étiré sur près de 60 mètres. Ainsi, pendant une heure, San Siro a été transformé en mare aux crocodiles géante, et on a vu l’Inter nager sans le moindre problème, ne se cognant, au bout du bout, que la tête sur un Thibaut Courtois auteur de cinq arrêts décisifs. Un homme a particulièrement brillé, et sa gestion a été le casse-tête attendu du soir : il s’agit évidemment de Marcelo Brozović, qui a touché 123 ballons au cours de la nuit et a fait un discours pour une vie à zéro déchet (90,8% de passes réussies, auxquelles il faut ajouter 2 tacles réussis, 7 ballons récupérés, 4 dégagements défensifs, 2 tirs…). Tout au long de la rencontre, l’international croate a été un problème pour un Real longtemps dans un entre-deux en phase défensive, et l’Inter, principalement en première période, a proposé un spécifique sortie de balle grâce à une supériorité numérique constante.


Premier exemple du brio de l’Inter sur les sorties de balle : sur cette séquence, le trio offensif madrilène sort presser, mais tarde à être suivi. L’Inter va alors s’amuser à jouer avec cette pression avec un objectif final assumé : placer Marcelo Brozović face au jeu.


Le Croate est alors cherché par Handanović, ce qui attire Vinicius alors que Bastoni est déjà placé derrière la première ligne de pression. D’abord positionné pour contrôler le décrochage de Çalhanoğlu, Valverde vient aider à fermer le côté…


Dos au jeu, Bastoni cherche De Vrij, qui a le sang-froid pour résister à la pression, temporiser…


… puis trouver Brozović face au jeu dès que l’espace s’est ouvert, Valverde ayant reculé. La pression madrilène a été effacée.


Autre séquence moins d’une minute plus tard où Škriniar profite du comportement défensif passif de Benzema pour trouver Brozović, toujours face au jeu.


Nouvelle séquence, qui montre une autre constante : le positionnement de Bastoni, souvent collé à la ligne, ce qui a forcé Lucas Vázquez à s’écarter et donc à libérer de l’espace à l’intérieur où l’Inter a parfois réussi à créer un 3 contre 2, Casemiro devant contrôler les décrochages de Džeko et Lautaro Martinez autour de lui.


Résultat, le Real s’est souvent fait percer en plein cœur.


L’Inter a longtemps eu réponse à tout : lorsque Benzema est resté sur Brozović, De Vrij a profité de l’espace offert, comme ici, pour conduire…


… et trouver Džeko pour combiner avec Barella.


Ce type de séquences s’est répété à l’infini en première période comme encore ici où Brozović est trouvé plein axe…


… avant de trouver Džeko en décrochage pour une nouvelle déviation vers Barella.


En réaction, on a souvent vu Benzema s’énerver et demander à son bloc défensif, qui a alterné entre 4-5-1, 4-4-2 et 4-1-4-1, de remonter d’un cran pour ne plus subir. Souvent en vain.

En réussissant à libérer Brozović et à toujours le placer face au jeu pour qu’il trouve des solutions, le Real s’est tiré une balle dans le pied et a constamment dû reculer. Non contente, l’Inter, dont le pressing a été agressif et souvent bien coordonné, a en plus ajouté plusieurs épices à son approche très rythmée avec ballon : l’entassement d’éléments (Škriniar, Darmian, Barella) dans le dos de Vinicius, plusieurs appels lancés dans un couloir intérieur fragile entre Alaba et Nacho, les décrochages d’un Džeko très intéressant, quelques transitions offensives qui ont rappelé quelques séquences de la saison dernière (18e, 37e)… Mais Courtois a fermé la porte, encore et encore.

Jeu de structure et Mathieu Le Scornet

Dos au mur à la pause et incapable de contrôler le tempo, le Real a fait le dos rond, laissé passer la tempête, et Carlo Ancelotti a finalement repris progressivement le contrôle de l’échiquier, ne voyant l’Inter se montrer dangereuse en seconde période que sur un corner où Džeko a dévoré Alaba dans les airs avant de pousser Thibaut Courtois à un énième réflexe (54e) et sur un bel enchaînement Barella-Vidal à l’entrée de la surface coupé par un Militão solide (77e). Don Carlo s’est expliqué sur son plan après la rencontre : « Je suis déjà heureux, car on a souffert et on a montré qu’on savait le faire, que cette équipe a du caractère. Comme l’Inter nous a enfermés à l’intérieur, j’ai ensuite voulu, en seconde période, ouvrir le match sur les côtés. » D’où le choix de Rodrygo, entré en jeu à la 65e minute et déjà décisif face à l’Inter la saison dernière lors du match de poules disputé à Madrid (3-2). Dès le début du deuxième acte, le Real a surtout fait grimper son bloc d’une hauteur et a gagné en compacité, Valverde étant pour de bon transformé en bélier sur Brozović et le duo Militão-Alaba devant alors assumer le un-contre-un avec Lautaro Martinez (puis Correa) et Džeko. Ancelotti a également joué avec sa structure avec ballon en demandant à Nacho de venir créer une supériorité numérique à la relance avec Militão et Alaba.


L’ajustement en phase défensive du Real avec Valverde envoyé sur Brozović, mais surtout Casemiro plus au contact de Çalhanoğlu, le Real assumant enfin le 1v1 derrière.


Et celui à la relance avec Nacho venant former le 3v2, Carvajal jouant le piston côté droit et Vinicius le piston côté gauche, alors que Lucas Vázquez est venu recentrer.


Conséquence sept minutes plus tard…


… Courtois peut trouver Nacho côté gauche et profiter de la supériorité numérique au large du Real…


Trouvé dans l’entrejeu, Luka Modrić peut alors profiter de la vitesse de Vinicius dans le dos de Dumfries, tout juste entré en jeu.


Au bout de la séquence, le Real va cadrer sa première frappe par l’intermédiaire de Carvajal.


Les ballons touchés par Vinicius en première période…


… et les ballons touchés par Vinicius en seconde période, plus en accord avec sa zone d’influence préférentielle.

En jouant avec ses pions, aidé par les changements d’Inzaghi qui ont fait perdre de l’essence à l’Inter (Perišić est par exemple sorti très tôt, alors qu’il semblait en jambes), Carlo Ancelotti a alors pu cogner via les zones « mortes » dans le dos des pistons et face aux centraux excentrés. Quelques secondes après son entrée en jeu, c’est là que Rodrygo a tout de suite été chercher par Benzema et c’est aussi là que Vinicius a fait à plusieurs reprises des dégâts (56e, 57e, 73e). Souvent menés à deux ou trois têtes en première période, les contres des Madrilènes, qui ont largement eu le ballon lors de la deuxième (60%), ont enfin gagné en danger et en nombre. Et le Real a été récompensé.


Premier exemple à la 79e minute où, lancé par Carvajal dans le demi-espace droit, Valverde se retrouve avec plusieurs cibles : Benzema va placer une tête hors cadre.


Et, à la 89e minute, on a retrouvé tous les ajustements de la seconde période du Real : Vinicius pour jouer au large, Nacho qui se projette en profitant de la supériorité numérique à la base, Rodrygo qui resserre dans l’axe et libère le couloir à Carvajal.


Alors que le ballon est arrivé dans les pieds de Camavinga dix secondes plus tard, Nacho a déjà plongé dans la surface. Le Français, lui, enclenche un mouvement appris lors de ses années rennaises…


Le trio défensif de l’Inter est alors occupé par Nacho, Rodrygo et Benzema : Camavinga a senti l’espace libre, où Valverde va magnifiquement le lancer…


… au bout, Škriniar sort sur Camavinga, Rodrygo est libéré au centre, et le Real ouvre le score.

Interrogé après la rencontre, voilà ce qu’a raconté Eduardo Camavinga, entré à dix minutes de la fin : « Quand je suis entré, le coach m’a dit qu’il allait y avoir beaucoup d’espaces. Le but, c’est un enchaînement que j’ai appris à Rennes avec Mathieu Le Scornet. Il me disait souvent de faire la passe et de courir dans la profondeur pour amener le danger. C’est ce que j’ai fait. » Et d’un coup, les armes de l’Inter sont (encore une fois en C1) tombées au sol, malgré une fantastique première période. Leçon du soir : le Real reste le Real, et Ancelotti reste Ancelotti. On n’apprend pas au vieil assassin à faire la grimace.

Par Maxime Brigand

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