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Wladimir Andreff : " La FIFA et l'UEFA ont été contaminées par la corruption et l'entre-soi"

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Dans votre livre La Face cachée du sport, vous revenez sur un certain nombre de scandales qui touchent le sport, en particulier le football, allant de la corruption au dopage en passant par les affaires sexuelles ou la fraude fiscale. Pourquoi avoir voulu traiter de ce sujet ? Est-ce consubstantiel au sport ou ne serait-ce que le reflet de la société, par nature pervertie et perfectible ?
C’est un sujet que je suis depuis longtemps. Avec cet ouvrage, j’ai voulu lancer un cri d’alerte, mettre en avant les dangers qui touchent et préoccupent le sport, médiatiquement et économiquement. Il n’y a qu’à voir, des scandales éclatent régulièrement et sont dévoilés dans la presse, c’est devenu presque courant d’entendre des affaires de corruption ou de dopage. Néanmoins, cela n’est pas propre au sport, n’est pas consubstantiel au sport, on trouve ces phénomènes partout et dans beaucoup d’autres domaines. Je pense, malheureusement, que cela fait partie du système, que le sport, et le football en particulier, n’est que le miroir, peut-être grossissant, de la société. C’est notre système qui a produit les comportements déviants et inquiétants.

« Il y a clairement un échec de la démocratie sportive, à commencer à la tête de la FIFA et de l’UEFA. »

À vous lire, on a le sentiment que la régulation est impossible, d’autant plus que des scandales de corruption touchent aussi les instances chargées de mettre en place des plans et des réformes de régulation. Une échappatoire est-elle possible pour le football ?
Oui, mais il va falloir agir en profondeur. Sans pour autant être partisan d’une révolution totale et absolue, rassurez-vous, je ne suis pas trotskiste, je pense qu’il faut réformer les instances, dans leur globalité, avant de penser aux cas pratiques ou particuliers. Le monde du sport ne changera pas si l’on change le modèle économique du Nîmes Olympique ou du Stade brestois, c’est tout en haut de la pyramide qu’il faut aller.

Tout d’abord, le salut passera par l’action des insiders, des athlètes directement. S’il y a du dopage, c’est bien que des sportives ou des sportifs ont accepté de prendre des substances illicites ; s’il y a des matchs truqués, c’est bien que des joueurs ont accepté de lever le pied ou que des arbitres ont accepté de fermer les yeux. Je suis pour la mise en place d’un permis de jouer, un permis pour faire du sport, qu’on donnerait à tous les aspirants sportifs. Et en cas de manquement aux règles du sport, le permis serait automatiquement retiré et le joueur suspendu. Ensuite, il faut corriger la représentation et la gouvernance du sport. Si l’on veut changer la régulation, il faut changer les décideurs. Il y a clairement un échec de la démocratie sportive, à commencer à la tête de FIFA et de l’UEFA. Ces instances ont été violemment contaminées par la corruption et l’entre-soi. Il faut arrêter l’élection et la cooptation des principaux dirigeants du sport, cela entraîne mécaniquement du lobbying et de la corruption. C’est terrible, car mon propos est non démocratique, mais la démocratie a, paradoxalement, conduit à cette dérive de la démocratie actuelle.

« Je propose plutôt un concours objectif de tous les candidats, selon de très nombreux critères, allant de la connaissance du droit, de l’économie, en passant par un examen de moralité. Un classement serait ensuite dégagé et l’on prendrait les meilleurs. »

Mais comment faire ?
Il y a deux solutions. La première, qui n’est pas la mienne, mais celle de l’économiste allemand Wolfgang Maennig, est celle de la loterie. On tirerait au sort les dirigeants du football international, à la tête de la FIFA et de l’UEFA. Seulement, on prendrait le risque ici de sélectionner les pires ou les plus mauvais, les moins aptes. Me concernant, je propose plutôt un concours objectif de tous les candidats, selon de très nombreux critères, allant de la connaissance du droit, de l’économie, en passant par un examen de moralité. Un classement serait ensuite dégagé et l’on prendrait les meilleurs. Je ne me fais pas beaucoup d’illusions, je ne suis pas certain que cela soit un jour mis en place. Mais l’intérêt de mon livre est en tout cas de proposer des solutions et, surtout, de mettre en lumière les failles du sport.

L’année dernière, entre les déboires de Mediapro, l’annonce d’une Superligue européenne et les tergiversations des diffuseurs pour les droits TV du foot français, on a eu l’impression que le football vivait ses dernières heures. Pensez-vous que la crise est derrière nous ou que cela n’annonce que le début d’une nouvelle ère dangereuse et inquiétante ?
La crise du football est fondamentalement structurelle. Déjà, en 2006, le Journal of Sports Economics avait publié un numéro spécial sur la crise financière du football européen. Cela fait des années que l’on sait et que l’on s’attend à un ralentissement du système. Il faut remonter à l’arrêt Bosman et à la libre circulation des footballeurs, en 1995, pour voir commencer les prémices de la crise.

La Covid-19 ou Mediapro n’ont été que des révélateurs conjoncturels, mais ne sont en aucun cas responsables de la situation. C’est tout le système qui est fragilisé par l’absence de régulation sérieuse et la force oligopolistique de quelques clubs sur tous les autres. Dans le football, il n’y a plus de solidarité, plus de redistribution, tout a été fait pour conduire à l’inflation des dépenses inconsidérées, en salaire et en indemnité de transferts, à travers une contrainte budgétaire lâche et une absence totale de contrôle. L’économiste Robert Boyer parlerait de bulle financière. Nous sommes précisément là. Et cette bulle n’est faite que pour éclater.

« Je suis pour, en plus de la taxe sur les paris sportifs, taxer les parieurs. Sur chaque pari, le parieur payerait en plus 1 euro qui irait directement dans un fonds pour le développement et le soutien du sport. »

Vous avez été auditionné par les députés Régis Juanico et Cédric Roussel, dans le but de faire la lumière sur le fiasco Mediapro, mais aussi pour trouver des solutions et des pistes de réforme du football français. Que proposez-vous pour améliorer les choses ?
Il faut absolument sortir de la télé-dépendance. Déjà, en intégrant l’idée que les sommes négociées jusqu’ici sont terminées. En France, avec l’arrivée d’Amazon et un investissement de seulement 250 millions d’euros, il ne faut plus espérer que la Ligue 1 soit négociée, lors du prochain appel d’offres, à plus de 600 millions d’euros. Canal+ ou beIN ne remettront plus jamais autant d’argent, et aucun acteur ne sera prêt à surenchérir. D’autant plus que les modes de consommation évoluent et que l’usage du streaming s’intensifie. Donc il faut se tourner vers autres choses.

Tout d’abord, concernant les dépenses, le football doit s’imposer une cure d’austérité, réduire les salaires et les indemnités de transfert. L’idée d’un salary cap souple et d’une luxury tax est intéressante, mais elle risquerait de provoquer une augmentation des inégalités, entre les superstars et tous les autres, entre les clubs capables de payer la taxe et tous les autres. Il faudrait donc aller plus loin. Ensuite, au niveau des recettes, si les droits TV ne rapporteront plus dans le futur, allons là où il y a l’argent. Je suis pour, en plus de la taxe sur les paris sportifs, taxer les parieurs. Sur chaque pari, le parieur payerait en plus 1 euro qui irait directement dans un fonds pour le développement et le soutien du sport. Cela permettrait à la fois de soutenir les disciplines, mais aussi de lutter contre l’addiction, par un effet désincitatif. Enfin, il faut sérieusement envisager une taxation des GAFA et des plateformes numériques, surtout parce qu’elles vont prendre une place, j’en suis persuadé, très importante dans la diffusion et la mise en scène du sport de demain.

Propos recueillis par Pierre Rondeau

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