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Richard Gasquet : "J'aime le PSG, mais je dors le soir s'il perd"

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Tu as joué ton huitième de finale à l’Open de Rennes contre Clément Chidekh mercredi soir au même moment que Bruges-PSG en Ligue des champions. On sait que tu es un fan de Paris, ce n’est pas trop frustrant de rater un match ?
J’ai joué beaucoup de matchs dans ma carrière, c’est arrivé très souvent que ça tombe pendant le foot et ce ne sera pas la dernière fois. Ça m’est arrivé de rater des matchs de Coupe du monde, de Ligue des champions comme la finale PSG-Bayern en 2020. C’est toujours chiant de jouer pendant des matchs importants. Du coup, je regarde le résultat sur mon téléphone dès que je rentre aux vestiaires et les résumés une fois rentré.

C’était la première du trio Mbappé-Messi-Neymar sur le terrain. Est-ce que ça t’intrigue de savoir comment de tels egos peuvent cohabiter dans un collectif ?
J’ai hâte de voir comment ils vont se débrouiller ensemble, comment sera l’équilibre de l’équipe, et jusqu’où ils vont pouvoir aller avec cette pression. Le tennis est un sport individuel, c’est différent. Ça ne doit pas être simple de se mettre au service du collectif quand on a un ego aussi important. Mais comme on dit, le club doit toujours être au-dessus, c’est la fameuse institution !

« À 15 ans, j’avais vu Ronaldinho au Camp des Loges, on avait échangé de ballons de la tête »

Tu es Biterrois, tu as passé ta jeunesse dans le Sud de la France, comment ta passion pour le PSG est-elle née ?
J’aime bien Montpellier aussi, je connaissais très bien Loulou Nicollin. Mes premiers souvenirs de stade sont à la Mosson, on regardait aussi un peu Marseille. J’ai déménagé à Paris quand j’avais 14 ans et demi, j’habitais à 50 mètres du Parc des Princes, donc j’ai commencé à aller au stade et à aimer cette équipe. Je me souviens qu’à l’âge de 15 ans, j’avais participé à une journée au Camp des Loges avec le journal Le Parisien, on était deux ou trois de Roland-Garros. J’avais vu Ronaldinho, on avait échangé de ballons de la tête. Il avait été super sympa, Ronnie. On avait aussi pu assister à l’entraînement, c’était super.


Est-ce que ça parle un peu de foot sur le circuit ? Quand le PSG bat le Bayern, il n’y a un peu de chambrage avec Daniil Medvedev, qui est un grand fan du club bavarois ?
Pas trop, c’est surtout franco-français. L’entraîneur de Tsonga est Lyonnais, Benoît (Paire) aime bien l’OM. Je supporte le PSG, mais je ne suis pas un anti-marseillais. Je ne suis pas le vrai supporter, tu l’entends à mon accent de toute façon (Rires). Je ne suis pas le Parisien à 100%, j’aime l’équipe, mais je dors le soir s’ils perdent. Par contre, je connais tous les joueurs, c’est rare sur le circuit, on n’est pas nombreux à être des grands passionnés.

« Jérôme Rothen me massacrait à FIFA, mais je me vengeais au tennis. Il a un coup droit pas trop mauvais, mais qu’est-ce qu’il est nul du revers. »

Maintenant que tu baignes dans le monde professionnel depuis deux décennies, as tu créé des liens d’amitié avec certains joueurs de foot ?
Des liens d’amitié non, mais je connais pas mal de joueurs : Steve Mandanda, Samir Nasri, Olivier Giroud, etc. Quand j’allais à Londres pour le Masters, on dînait parfois ensemble, il y avait aussi Bacary Sagna, Laurent Koscielny. À Paris, j’ai également beaucoup croisé Blaise Matuidi ou Marco Verratti. Les gars aiment bien le tennis, et inversement les joueurs de tennis aiment beaucoup le foot, en tout cas moi je suis fan. Je connaissais aussi Jérémy Ménez, on a pu faire deux ou trois matchs de tennis l’un contre l’autre, il se débrouillait bien. Quand il était au PSG, Jérôme Rothen venait jouer à FIFA sur la Playstation chez moi. Il me torchait, il me massacrait, mais ne lui dis pas parce qu’il est très chambreur (Rires). En revanche, je me vengeais au tennis. Tu pourras lui dire qu’il a un coup droit pas trop mauvais, mais qu’est-ce qu’il est nul du revers, il ne sait pas en faire !

On sait que tu as beaucoup tapé la balle jaune, mais est-ce que tu jouais également au foot quand tu étais plus jeune ?
Quand j’étais jeune, je jouais quasiment autant au foot qu’au tennis. Jamais en club, qu’avec les copains. Jusqu’à 11-12 ans, je faisais une heure ou deux avec la raquette puis j’allais passer la journée au stade. Mais aujourd’hui, je préfère éviter. Je suis plus âgé et tu as toujours un con qui vient te marcher sur la cheville. C’est dur pour moi de ne plus jouer. Quand ma carrière sera terminée, je n’en aurais rien à foutre, et ça me fera plaisir de pouvoir rejouer au foot. J’ai hâte. Ce sera plutôt des five en salle, le « vrai » foot à onze contre onze, je ne connais pas trop, c’est très différent.

« Djokovic n’est pas fabuleux au foot, il est meilleur au tennis, ce qui est déjà pas mal. »

Tu as déjà participé à des matchs avec des joueurs du circuit ?
Les joueurs de tennis sont plutôt bons au foot : Tsonga, Llodra, Paire sont bons. Nicolas Escudé était aussi très bon, forcément avec son frère… À l’INSEP, les mecs jouaient beaucoup au foot. On a pu faire quelques matchs quand on était jeunes, Djokovic était là, mais il n’est pas fabuleux, il est meilleur au tennis, ce qui est déjà pas mal (Rires.).

Quel est ton poste de prédilection ? On a une petite idée…
Je n’aurais pas été défenseur, c’est trop physique pour moi. En plus, mon jeu de tête laisse à désirer. J’aime bien faire des passes, je suis gaucher, je ne vais pas dire que je suis un numéro 10, ce serait être fanfaron, mais ça me parle plus que la défense. J’estime être plutôt bon avec le ballon, mais là je te parle du foot avec les copains. Quand tu joues avec des vais footeux, c’est beaucoup plus dur, ils viennent te mettre des gros coups d’épaule (Rires.)

En 1998, tu as participé au prestigieux Open 12 d’Auray auquel participait Rafael Nadal, mais également Yoann Gourcuff. Tu te souviens l’avoir croisé ?
Je me rappelle surtout avoir vu Yoann à Lyon quand on a fait la Coupe Davis, c’est un mec très sympa. J’ai vu quelques images de lui en train de jouer au tennis, c’est un bon joueur, il a un classement, il fait des tournois à un bon petit niveau. C’est bien qu’il s’y soit remis aujourd’hui, j’aimerais bien faire pareil de mon côté avec le foot quand ce sera fini pour moi.

Comprends-tu que l’on puisse vous comparer l’un à l’autre ? Vous avez tous les deux un jeu esthétique, une certaine fragilité, de la pudeur…
(Il souffle et réfléchit.) On fait parfois des rapprochements avec peu de choses. C’est surtout au niveau médiatique, on a eu tous les deux cette sorte d’attente autour de nous très tôt. C’est le jeu médiatique qui veut ça, mais j’ai quand même une carrière de 20 ans, j’ai joué longtemps. Lui aussi, c’était un super joueur, même s’il a eu des pépins physiques.

« C’est difficile de se construire quand il y a autant d’attente autour de toi. »

Tu as fait la Une de Tennis Magazine à l’âge de 9 ans. Avec le recul et l’expérience, quel impact penses-tu que cet événement a eu sur toi ?
J’étais très fort quand j’étais jeune, je ne peux pas le nier. Mais c’était compliqué, ouais. C’est difficile de se construire quand il y autant d’attente autour de toi, la France attendait un nouveau vainqueur d’un tournoi du Grand Chelem, on a une grosse fédération, etc. On m’a toujours vu comme un génie du tennis, ce n’est pas tout le temps facile à porter. Je pense que si je pouvais revenir en arrière, j’aimerais que ça se passe différemment.


Kylian Mbappé est confronté à la même chose dans le foot, il y a beaucoup d’attente et d’espoirs autour de lui. Est-ce que tu es bluffé par ses performances et sa régularité ?
C’est monstrueux ce qu’il fait, c’est exceptionnel. Ça me surprend toujours quand lis le nombre de critiques sur lui. Il est quand même champion du monde à 18 ans, il marque en finale, il donne le maximum à chaque rencontre. Puis, c’est obligatoire d’avoir un ego quand tu es un tel joueur, il faut l’accepter.

Même si tu es un supporter parisien, ne penses-tu pas qu’il serait davantage aimé en France s’il rejoignait le Real Madrid ?
Certainement, c’est possible. De toute façon, quand tu es haut, tu peux te faire énormément critiquer et descendre très bas. Un coup on est aimé, un autre on est critiqué, c’est un jeu médiatique un peu étonnant.

« Il n’y a pas un mec qui peut passer quatre heures de suite devant un match de tennis. »

Dans un entretien donné à L’Équipe l’année dernière, tu expliquais ne plus pouvoir « regarder quatre ou cinq sets à Roland-Garros » . Ces derniers mois, le président de la Juventus Andrea Agnelli a également jugé que les matchs de foot étaient trop longs, notamment pour les jeunes. Tu es du même avis ?
Le foot, ça va vite, il y a moins de temps mort qu’au tennis. Tu sais que ça va durer 1h30, alors que de notre côté on peut jouer trois, quatre, cinq heures. Roland, c’est trop long à regarder. Il n’y a pas un mec qui peut passer quatre heures de suite devant un match de tennis, à part peut-être si c’est un Federer-Nadal. Pour moi, c’est un problème. Aujourd’hui, il faut de l’instantané, il faut que ça aille vite, et je pense qu’on va tendre vers de nouveaux formats dans le futur.

Le risque de dénaturer ces sports n’est-il pas trop grand en imaginant ce genre de révolutions ?
Je ne dis pas qu’il faut le révolutionner ! Même Djoko dit que c’est trop long, je ne suis pas le seul à le dire. Il y a peu de sport aussi long que le tennis, un match de Grand Chelem, ça peut durer quatre ou cinq heures. Quand tu boucles un premier set à 7-6 après 1h30 de jeu, c’est long…

Tu avais également poussé un coup de gueule contre certaines règles de l’ATP. En foot comme en tennis, trouves-tu que les joueurs ne sont pas suffisamment écoutés par les instances ?
Ils ne le sont pas du tout. Jamais. On devrait d’ailleurs y remédier. Au tennis, ça commence un peu, il y a un syndicat des joueurs avec Djokovic, mais ce n’est pas facile quand tu es dans une carrière, ça prend du temps et de l’énergie. C’est toujours la même chose : c’est le sport business, toujours plus de compétitions. Quand un footballeur dispute 70 matchs par an, c’est difficile. C’est dur de mener ce combat, je ne l’ai d’ailleurs pas trop fait dans ma carrière.

Est-il possible de ne pas finir dégoûté du monde du sport quand on évolue dans le milieu pendant deux décennies ?
Non, je ne suis pas d’accord, ça reste fabuleux de pouvoir vivre des émotions pareilles. Quand tu entres sur un court central ou que tu joues des compétitions comme l’US Open ou la Coupe Davis, c’est incroyable. Ça doit être la même chose dans le foot. Peu de personnes vivent ces moments. Ce sont des souvenirs pour la vie. Le jeu passe avant tout le reste.

« J’envie les joueurs de foot : quand tu perds le soir, tu es quand même chez toi, tu rentres à la maison. Quand tu passes 40 semaines par an à l’étranger, c’est une vie complètement différente, c’est plus difficile au niveau du mental. »

On a beaucoup parlé de la dépression chez les sportifs de haut niveau ces derniers temps. Cela existe dans le foot comme dans le tennis, Naomi Osaka en a parlé à Roland. Les joueurs sont-ils suffisamment accompagnés psychologiquement durant leur carrière ?
Tu sais que j’envie les joueurs de foot : quand tu perds le soir, tu es quand même chez toi, tu rentres à la maison. Au tennis, tu fais des tournées qui peuvent durer six ou sept semaines… Au foot, c’est un mois et demi maximum au moment de la Coupe du monde ou de l’Euro. Ce n’est pas du tout pareil. Quand tu passes 40 semaines par an à l’étranger, c’est une vie complètement différente, c’est plus difficile au niveau du mental. J’aurais bien aimé pouvoir rentrer chez moi le lendemain d’un match. Après, tout est décuplé dans le foot, c’est le sport le plus populaire. C’est important d’avoir des entourages solides, il faut des personnes avec la tête sur les épaules autour de toi. Les psychologues, ça peut en aider certains, ça marche avec Medvedev par exemple. Chacun est différent.

Quand un joueur de foot prend sa retraite, on parle souvent de « la petite mort du footballeur ». Tu as 35 ans, comment appréhendes-tu ce moment de ton côté ?
C’est plus dur avec le temps, quand tu prends des années, ça peut devenir compliqué physiquement. Le tennis, c’est un vrai sport individuel, tu es seul sur le court. Quand tu as un partenaire en double, ça peut faire du bien, mais ça reste un sport avec beaucoup de solitude. Sur un terrain de foot, tu peux d’avantage t’appuyer sur les autres. J’ai joué 20 ans, une carrière ça dure beaucoup moins longtemps normalement. J’ai commencé à l’âge de 16 ans, je ne pensais pas encore être sur le circuit à 35. Je suis déjà très heureux de ce que j’ai fait.

Propos recueillis par Clément Gavard, à Rennes

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