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Malheureusement, on a une sélection qui, en période estivale, se retrouve avec une bonne quantité de joueurs en fin de contrat. Ça veut dire que quand la saison commence, ils ne sont pas payés et pas compétitifs. Là, c’était le cas. Certains joueurs, notamment les cadres, ne sont pas venus parce qu’ils demandaient à ce qu’on leur paye des primes. On est donc parti avec des jeunes qui n’avaient jamais été appelés en sélection. L’idée, c’était de faire entrer des jeunes et qu’une ossature de joueurs expérimentés puisse les encadrer, mais c’est compliqué. Les détails administratifs n’ont pas été résolus en temps et en heure, et sportivement, on a été pénalisés sur le résultat. Avec le staff technique, on se rend compte à chaque rassemblement que si les choses administratives étaient bien faites, on aurait moins de frustration au niveau des joueurs. Je suis arrivé dans une fédération en transition. On passe d’un comité qui était en place pendant vingt ans à un comité de normalisation (trois personnes choisies par la FIFA pour remettre en ordre les statuts de la fédération et organiser la prochaine fédération, NDLR). Le côté sportif n’est plus la priorité. Mais il y a des échéances sportives avec la Coupe du monde et la Gold Cup, donc ce n’est pas évident.
Quel était le problème pour les cadres ?
Certains joueurs m’ont écrit le 7 août pour me dire que s’ils ne recevaient pas leurs primes, ils ne seraient pas disponibles pour la sélection. J’ai aussi voulu appeler Duckens Nazon, mais il est sanctionné par la fédération. Lors de la Gold Cup 2021, il a frappé un coéquipier au visage à deux reprises dans le vestiaire. Le joueur est sanctionné, mais la fédération n’a jamais communiqué là-dessus. Donc officiellement c’est ma décision, alors qu’en réalité, ce n’est pas le cas.
Duckens Nazon, un des cadres en question
Au total, sur combien de joueurs avez-vous dû faire une croix ?
Entre les cadres qui ne voulaient pas venir pour ces histoires de primes et les autres qui ont été solidaires, ça fait une quinzaine de joueurs qui ne sont pas venus. Et je ne parle même pas de 5000 euros. C’est une prime liée à la Gold Cup qui ne peut pas excéder 2000 dollars. Si pour eux, c’est la seule façon de revendiquer leurs droits, je ne suis pas contre. Après, c’est le timing entre le tremblement de terre et l’assassinat du président qui n’est peut-être pas le bon. Chacun est libre de défendre son pain à sa manière, et moi, je compterai toujours sur eux. Les joueurs savent que l’argent ne coule pas à flots. On ne parle pas de pays mieux organisés, c’est Haïti : on dépend de la FIFA qui dispose d’un montant pour développer notre football. En temps normal, avec un comité exécutif, la fédération récupère son argent et le dépense comme elle veut. Mais avec la situation d’aujourd’hui, il faut plus de temps pour débloquer les sous. Haïti a droit à 11,4 millions de dollars sur six ans. Donc ça met du temps. Mais on ne peut pas, pour une question de 100 ou 300 dollars, abandonner le projet et refuser d’accompagner les jeunes. Aller jouer en sélection, ça doit être autre chose que l’argent.
Ce renouvellement d’effectif a fait jaser, plusieurs joueurs vous ayant ouvertement critiqué via un live Instagram…
Pour eux, des nouveaux joueurs prennent leur place. Ça me dérange que certains anciens n’acceptent pas les nouveaux. Ils me disent : « Coach, vous avez emmené des joueurs pour prendre nos places. » Et ça, c’est… (Il marque un temps d’arrêt.) Quand on est sportif, les places sont à ceux qui travaillent le mieux, qui bougent leur cul sur le terrain. Le simple fait d’avoir été là pendant quatre ou cinq ans ne justifie pas une place sur le terrain ou dans une liste. Apparemment, avec les autres sélectionneurs, ils arrivaient à faire passer leurs idées. Ils veulent une marionnette, quoi ! (Rires.) Moi, j’ai une gestion du groupe à faire, et ça passe avant les joueurs. Ils doivent savoir qu’ils sont là pour Haïti, et que la sélection n’a pas de maître. Si un joueur vient en sélection pour faire passer ses idées, qu’il change de cap, qu’il passe ses diplômes et qu’il vienne de l’autre côté. Quand on est Haïti, on se doit de projeter autre chose. Le football, c’est peut-être la première image positive qu’on peut envoyer au monde entier.
Avec toutes ces catastrophes (naturelles et politiques), la sélection a-t-elle un rôle important dans le pays ?
C’est beaucoup plus que du football pour nous. Permettre à Haïti d’avoir des résultats et donc de parler de ce pays aussi pour ça, c’est peut-être le meilleur accompagnement qu’on peut offrir aux jeunes aujourd’hui. Le bon côté de la chose, c’est que nos U14 masculins et féminins viennent d’être champions des Caraïbes, donc ça veut dire qu’il y a de l’espoir. Mais ça ne doit pas rester que sur le côté sportif. Il doit y avoir un projet pédagogique derrière ça.
Est-ce que le séisme a eu des conséquences directes sur la pratique du football ?
Bien sûr. Dans le sud du pays, il y a deux clubs qui n’existent plus vraiment (America des Cayes et Juventus des Cayes). Souvent, les dirigeants du football haïtien sont des chefs d’entreprise, et quand un de leurs hôtels s’effondre, il n’y a plus de fonds propre, plus rien qui rentre, et ils ne peuvent plus aider le football comme ils le faisaient avant. Le football haïtien est aujourd’hui encore plus en difficulté qu’en 2010. Sans parler des clubs en deuxième division. Pour eux, c’est encore pire.
Ils continuent à jouer ?
Non, le championnat est arrêté depuis le mois d’avril. Le président l’avait arrêté à cause du Covid. En plus, dans le sud du pays, on a une route stratégique à Martissant (un quartier de la capitale Port-au-Prince) qui est bloquée par des rebelles indépendants armés qui tirent un peu sur tout ce qui bouge. Les équipes ne peuvent pas passer. Ça rend le transport et la sécurité très compliqués. Avec la sélection, on n’est pas concernés par tout ça. Quand on va au pays, on ne bouge pas de l’hôtel, et si on doit bouger, on a la sécurité avec nous. Donc je n’y suis jamais allé, je n’ai jamais vu personne se faire tirer dessus, mais mes proches m’en ont parlé.
Comment êtes-vous arrivé à ce poste de sélectionneur ?
Au mois de novembre 2019, j’ai été approché par Yves Jean-Bart, l’ancien président banni par la FIFA pendant que les U17 étaient à la Coupe du monde au Brésil. Il m’a écrit pour me demander de venir aider le pays dans le secteur que je maîtrise le plus. On a discuté, il m’a dit de voir avec le secrétaire général pour une proposition de contrat. J’ai vu avec lui qui m’a redirigé vers le président. Puis, celui-ci a été mis en accusation au mois de mars 2020. On arrive à novembre, la sanction est tombée et des échéances arrivent en mars 2021. On a quatre mois pour préparer ça. Pendant ce temps, des sélectionneurs ont été sondés pour que je devienne leur adjoint, parce qu’il fallait que je prenne du temps avant de faire mon retour et finir ma formation. (Il a été joueur en sélection de 1997 à 2016.) Finalement, ils n’ont pas été choisis. Alors j’ai demandé à continuer avec Marc Collat qui était le sélectionneur juste avant et que je connaissais. Mais il était en litige avec la FIFA et la fédération pour son contrat qui n’avait pas été renouvelé. J’aurais bien voulu être son adjoint, mais ils n’ont pas trouvé de solution entre eux. On arrivait à deux semaines du mois de mars, il fallait composer une sélection qui n’avait plus joué depuis le mois de mars 2019, alors je suis parti en mission pour gérer les deux matchs contre le Belize et Sainte-Lucie. Ensuite, la deuxième phase éliminatoire de la Coupe du monde commençait le 5 juin, et c’est là qu’on m’a proposé de prendre la main pour les deux années à venir. Tâche difficile. (Rires.)
JJP, époque nantaise
Entre-temps, vous avez été confronté à des problèmes organisationnels.
Au mois de mars, l’agence de voyage avait transité tous les joueurs vers les États-Unis, alors que tout Européen ne pouvait y entrer à cause du Covid. Donc j’ai dû, à mes propres frais, aider les joueurs à voyager, prendre des hôtels pour les faire patienter et leur trouver un autre vol. Mais si je ne mets pas de ma poche pour les joueurs, Haïti est disqualifié de la compétition ! Ensuite, il fallait les convaincre. Le capitaine Johny Placide part de Sofia, il est bloqué à Londres et veut rentrer chez lui. Il m’appelle à minuit, à distance je lui ai trouvé un autre vol par l’Espagne pour le faire arriver en République dominicaine, puis en Haïti. Je n’ai pas fait tout ça parce que je voulais être entraîneur, mais parce qu’il fallait le faire.
Quel est votre prochain objectif ?
Je veux préparer l’équipe pour les cinq ans à venir. Je ne serai peut-être pas là, mais quand on voit une Coupe du monde 2026 qui se joue aux États-Unis, au Mexique et au Canada, on pense tout de suite à trois pays de moins dans les éliminatoires de notre zone. (Trois autres places seront allouées à la zone CONCACAF.) Mon autre objectif, c’est de restructurer l’administration pour pouvoir attirer des joueurs comme Jean-Kévin Duverne de Brest, Yassin Fortuné du FC Sion prêté à Cholet. Mais on doit solidifier l’organisation pour leur permettre d’arriver dans des conditions idéales. Au-delà du sportif, mon objectif, c’est de permettre à ces gamins-là de vivre l’expérience extraordinaire qui est celle de la sélection.
Propos recueillis par Emile Gillet